La médiation judiciaire : mode d’emploi (par le juge Marc Juston)

Le constat

Actuellement, la médiation, tout le monde en parle, et dans tous les domaines, mais en réalité, peu la pratique dans l’enceinte judiciaire. L’observation empirique de l’action des tribunaux démontre que si les juges et les avocats se déclarent globalement favorables à la mesure, ils sont par ailleurs peu enclins à y recourir, et ce quelque soit le type de contentieux.

Or, la médiation devrait être, par nature, la voie première de résolution du litige.

Elle s’applique principalement dans les litiges impliquant psychologiquement et affectivement les parties.

Dans tous les domaines de la Justice, combien d’affaires familiales, de partages, d’évaluations, de copropriétés, de baux commerciaux, de successions, de conflits de voisinages, d’affaires commerciales et de conflits prud’homaux, etc. sont certes tranchées en droit, mais laissent aux justiciables un profond sentiment de frustration et de malaise.

En effet, si dans l’idéal, la mission du juge consiste à mettre fin à un litige, force est de constater que le procès est généralement l’occasion d’un affrontement, au point que les relations entre les parties sont définitivement détériorées avec, à la clé, des contentieux interminables, des expertises de combat, des contre expertises, des voies de recours jusqu’à l’épuisement; tout cela, avec le risque, il faut bien le reconnaître d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution des décisions de justice.

Les textes

Les textes sur la médiation ont été insérés dans:

Les articles 131-1 à 131-15 (Titre VI bis « La médiation ») du code de procédure civile.

La médiation est confiée par le Juge, saisi en référé ou au fond, à un tiers médiateur, qui aura pour mission d’entendre les parties, de confronter leurs points de vue et de rechercher une solution négociée pour mettre fin à un litige actuellement en cours.

Les références

Définition

La médiation consiste à confier à un tiers impartial, qualifié et sans pouvoir de décision sur le fond, « le médiateur », la mission d’entendre les parties en conflit et de confronter leurs points de vue au cours d’entretiens, contradictoires ou non, afin de les aider à rétablir une communication et à trouver elles-mêmes des accords mutuellement acceptés.

Conditions d’application de la médiation

  • Le Juge doit être saisi (en référé ou au fond – art. 131-1 cpc),
  • A l’audience, les parties doivent donner leur accord (nécessité du consentement des parties) sur le principe même de la médiation.La médiation a une nature mixte, c’est-à-dire qu’elle est ordonnée par le Juge et en même temps, il est nécessaire de recueillir l’accord des parties.
  • Avec la médiation, le juge n’est dépouillé ni de la procédure ni de son pouvoir décisionnel. En effet, le médiateur ne tient son pouvoir que du Juge.C’est le Juge qui le désigne dans un litige, après avoir recueilli l’accord des parties. (Art. 131-1 cpc).
  • Le médiateur peut être une personne physique ou une association (art. 131-4 cpc). Le médiateur est désigné et choisi par le Juge; mais il est opportun que les parties soient associées au choix, et ce contrairement à l’expertise pour laquelle le choix de l’expert est décidé par le Juge (certes les parties et leurs conseils peuvent y être associés).
  • Le Juge doit définir le contenu de la mission (art. 131-6 cpc) et fixer une durée limitée pour la dite mission qui ne peut excéder trois mois, sauf à être renouvelée une fois pour la même durée à la demande du médiateur (art.131-3 cpc).Le délai est assez court. Le législateur n’a pas voulu permettre un circuit de dérivation du procès.
  • Le Juge fixe le montant des frais (art. 131-6 2ème par. cpc). Le Juge fixe une provision à valoir sur la rémunération du médiateur « à un niveau aussi proche que possible de la rémunération prévisible », les parties peuvent toutefois déterminer elles-mêmes la charge des frais.Les honoraires du médiateur doivent être partagés par moitié. Le concours du médiateur n’est pas gratuit. Si les parties bénéficient de l’aide juridictionnelle, la mesure peut être prise en charge dans ce cadre là.Dans la pratique, de nombreux magistrats ont mis en place des mécanismes plus souples que le versement de la consignation, qui trop souvent retarde la mise en place de la médiation. C’est ainsi que dans certaines juridictions, le Juge prévoit que la consignation sera versée directement entre les mains du médiateur, appliquant ainsi les textes sur la consultation insérés dans les art. 256 à 262 cpc, et notamment l’art. 268 qui dispose que : »Le Juge désigne la ou les parties qui seront tenues de verser, par provision, au consultant, une avance sur sa rémunération, dont il fixe le montant ».
  • Le Juge met fin, à tout moment, à la mission s’il le souhaite, même d’office (art. 131-10 cpc).Le Juge n’est pas dessaisi de son pouvoir décisionnel. Quand l’affaire revient après la médiation, il n’est pas une chambre d’enregistrement.Le médiateur n’a pas pris la place du Juge.

Le choix du médiateur

L’art. 131-4 cpc offre au Juge deux possibilités:

Le Juge désigne soit une personne morale, une association de médiation, soit une personne physique.

Le médiateur doit être une personne indépendante. Il ne doit avoir aucun lien de parenté avec les parties. Le médiateur doit être un tiers totalement neutre par rapport au contentieux qui est porté devant lui, afin qu’il puisse être respecté de chacune des parties, et surtout qu’il puisse recueillir leur confiance.

Deux principaux critères de désignation peuvent être retenus :

  • Un critère de qualification préalable, c’est-à-dire de qualification dans le domaine considéré pour l’exercice de la mesure. Il est nécessaire que le médiateur soit une personne compétente dans le domaine dans lequel il doit intervenir :art. 131-5 3° cpc: « Le médiateur désigné doit posséder, par l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise eu égard à la nature du litige »,
  • Un critère d’expérience de la technique de médiation:art 131-5 4° cpc: « Le médiateur doit justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ».De nombreux organismes et Universités dispensent une formation à la médiation (DU de médiation, Master … ). Seule la profession de médiateur familial a été réglementée (décret du 2 décembre 2003 et arrêté du 12 février 2004 et du 19 mars 2012 relatifs au diplôme d’Etat de médiateur familial).

Points spécifiques de la médiation

  • Le code de procédure civile n’a pas établi de règles générales pour le déroulement de la médiation.
  • Le médiateur n’est pas tenu au respect du contradictoire. Il peut entendre les parties séparément, individuellement. Il peut même entendre des tiers.
  • Le médiateur est tenu à l’obligation du secret. Les entretiens sont strictement confidentiels. Le Juge ne peut pas connaître leur contenu. Le médiateur ne peut pas témoigner.Art. 131-14 cpc:

    « Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies par lui ne peuvent être ni produites, ni invoquées dans la suite de la procédure sans l’accord des parties, ni même en tout état de cause dans le cadre d’une autre instance ».

    Cette règle fondamentale a pour objectif de ne pas entraver les concessions que les parties pourraient être amenées à faire pour parvenir à un accord. Elles auront ainsi l’assurance que jamais les constatations effectuées ne se retourneront contre elles, à leur insu.

  • À la fin de la médiation, le médiateur n’établit pas de rapport. Simplement, au bout du compte, le Juge, qui a désigné le médiateur, est informé sur le fait qu’il y a eu ou non un accord entre les parties.
    L’issue de la procédure de médiation est de ce fait :

    Soit l’accord : la médiation aboutit à une convention. Elle met fin au procès et force exécutoire peut lui être donnée, à la demande des parties, par le Juge qui homologue l’accord. L’homologation relève de la matière gracieuse (art. 131-12 cpc).

    Soit la poursuite du désaccord. Les parties sont remises dans l’état initial. Si la médiation ne permet pas de signer des accords, les parties restent dans la même situation que celle qui était la leur avant l’engagement de la médiation. Il ne reste aux parties qu’à continuer l’instance suspendue.

    Mais les parties, à défaut d’accords sur l’ensemble du litige, peuvent aboutir à des accords partiels ou à des accords oraux. En tout état de cause, la médiation permet, presque toujours, une amélioration de la communication et un apaisement du conflit.

  • Le temps suspendu de la médiation (loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile).
    L’article 2238 du code civil dispose:

    « La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation.Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle, soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée ».

 

Le rôle primordial du Juge

La médiation doit être mise en place par le Juge dans le cadre d’un travail collectif, d’une interdisciplinarité, d’un partenariat avec tous les acteurs judiciaires greffiers, avocats, notaires, experts, médiateurs.

Ceux-ci doivent se mettre étroitement en rapport pour assurer la possibilité de recourir efficacement à la médiation. Il appartient au Chef de juridiction de mobiliser les magistrats et d’engager un travail de réflexion commune avec tous les acteurs judiciaires.

Les greffiers doivent être intégrés à cette réflexion. Ils ont un contact direct avec les justiciables à l’occasion d’un certain nombre de procédures et peuvent les informer de l’existence de la pratique de médiation dans la juridiction et de son utilité.

Le rôle de l’avocat en médiation est déterminant. La médiation ne peut s’implanter que si les avocats sont preneurs de cet outil.

 

Conclusion

La médiation va dans le courant d’idées qui tend à préférer la solution amiablement consentie à la décision judiciairement imposée.

Dans notre société de plus en plus individualiste, la médiation permet de rétablir la communication entre les parties et la compréhension mutuelle à travers le dialogue.

L’intérêt de la médiation est aussi de donner aux Juges et aux Avocats un outil pour tenter de rétablir un dialogue entre les parties, de déconflictualiser les relations et les positions entre les parties et d’essayer, dans la mesure du possible, d’obtenir un accord entre les parties.

Il convient de se convaincre qu’à partir du moment où les justiciables dialoguent, se respectent, un grand pas est fait pour trouver des solutions satisfaisantes et équitables pour eux, ou à tout le moins, pour que les décisions prises par le Juge soient mieux acceptées, mieux appliquées et mieux vécues.

La médiation doit devenir une évidence dans le judiciaire. Elle permet de remettre de l’humanité dans le procès et d’introduire une culture de paix.